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Ferdinand d’Aragon… a toujours eu de grandes choses en projet ou en cours d’exécution, qui remplissaient ses sujets d’étonnement et d’admiration et les préoccupaient continuellement. Une réalisation s’enchaînait à l’autre avec une telle rapidité que jamais personne n’a pu trouver le temps de comploter tranquillement contre lui.

Machiavel, Le Prince.

 

Flatterie avait entendu les ennuis arriver avant de les voir. Après avoir condamné les accès supérieurs du blockhaus, il avait regroupé ses collaborateurs les plus fidèles dans les bureaux plus petits attenants à son Parc. Il n’y avait pas beaucoup de place, mais ces locaux correspondaient aux besoins et il était impossible d’y pénétrer en arrivant d’en haut. Il se paierait le luxe d’attendre ici confortablement l’issue des combats côté surface.

— Si nous ne bougeons pas d’ici, dit-il à Marta, nous verrons les problèmes se résoudre un par un autour de nous. Le feu s’éteint de lui-même quand il n’y a plus rien à brûler, et les gens laissent tomber leurs armes quand ils sont trop affamés ou fatigués. Nous chercherons par la suite à savoir qui est avec qui. La nuit va bientôt tomber. Il ne fera pas bon se trouver dehors avec ce qui se passe. Les démons…

Il n’avait pu réprimer un frisson mais supposait que, dans les circonstances présentes, la chose n’avait plus d’importance. Marta et les autres étaient ici parce qu’ils savaient à quoi s’en tenir sur ce qu’il pensait de Pandore et partageaient son espoir de fuir la planète. Ils étaient tous un peu ébranlés par ce déménagement subit à l’intérieur de son blockhaus personnel. Encore heureux que la claustrophobie fût une chose à peu près inconnue sur Pandore.

Il était heureux de constater que son entourage, au milieu de tout ce remue-ménage, avait tendance à resserrer les coudes autour de lui. Cela ne l’empêcha pourtant pas de verrouiller la porte de sécurité à double tour derrière lui quand il retourna dans le Parc.

Si les circonstances nous obligent à prolonger notre séjour ici, il faudra que je les laisse sortir aussi dans le Parc. Mais j’attendrai le dernier moment pour cela.

De toute son existence à Lunabase, depuis son implantation dans un utérus de substitution jusqu’à son départ à bord de la nef Terra, il ne se souvenait pas d’avoir vécu un seul instant dans un endroit non gardé, rien qu’à lui. Une partie de sa formation de psychiatre avait tenu compte de cet état de choses. On ne se retrouve seul avec soi que devant la mort, il connaissait très bien cette leçon, et c’était justement parce qu’il la connaissait bien qu’il était tout désigné pour être l’exécuteur de son espèce. Qui mieux qu’un Psychiatre-aumônier était à même d’identifier l’autre, que ce fût une intelligence artificielle ou une intelligence extra-terrestre ? Et qui était mieux équipé pour lutter contre une telle menace ? Lunabase avait pris la bonne décision, il en était certain, et il en était fier à juste titre.

La fierté précède la chute, dit une voix dans sa tête, mais il la chassa d’un haussement d’épaules.

Il était possible qu’il eût commis une légère erreur dans le cas du varech. Il avait besoin du varech. Pandore ne pouvait s’en passer. Assurer la survie du varech n’était pas seulement une question de prudence, mais de nécessité. Le premier Psyo de Pandore avait ordonné sa destruction, et cela avait failli causer la perte de ce qui restait de l’humanité aussi bien que de la planète elle-même. L’élagage représentait un risque. Le Contrôle des Courants aussi, dans la mesure où il y avait toujours plus de varech que d’humains pour contrôler la situation. Dix ans auparavant, déjà, le varech s’était révolté et les humains l’avaient forcé à se confiner dans des gisements qui marquaient les grands itinéraires commerciaux le long des côtes nouvellement formées de Pandore.

Et puis, cinq ans plus tôt, Crista Galli avait fait son apparition dans la vie des Pandoriens. Dès le début, Flatterie l’avait soupçonnée d’être une émanation du varech. Il aurait dû se douter de la vérité, mais son pressentiment l’avait tout de même aidé à conserver une longueur d’avance sur le varech. Une étude chromosomique de la fille avait prouvé qu’elle était humaine. Il avait fait tuer, au moyen de la toxine du varech, le tech chargé de pratiquer l’examen. Ainsi avait commencé à se répandre la rumeur concernant le contact mortel, pour les humains, de Crista Galli. L’altération progressive de son métabolisme sanguin par des moyens artificiels avait par la suite fourni l’occasion d’accumuler d’autres preuves accablantes. La légende qui s’était créée autour d’elle avait mieux servi les desseins de Flatterie que des légions entières de forces de sécurité.

Une rumeur bien lancée en un moment propice peut avoir une valeur inestimable dans les arènes politique et religieuse, se disait-il.

Il se sentait d’une sérénité totale malgré le conflit qui faisait rage tout autour de lui. En vérité, il avait du mal à maîtriser son allégresse devant les perspectives qui allaient s’ouvrir.

Voilà qui va régler pour un moment le problème de la surpopulation, se disait-il. Le vieux Malthus est de nouveau à l’honneur.

Les survivants qui s’opposeraient à lui crèveraient de faim, c’était aussi simple que cela. Il avait tout le temps au monde, et la totalité des ressources de la planète à ses pieds. De son blockhaus, il commandait l’accès à trois des plus vastes silos du monde. Suffisamment de grain et de conserves pour maintenir cinq mille personnes en bonne santé durant au moins dix ans. Le Parc ne fournirait pas assez de fruits frais pour tout le monde, mais avec un entourage sélectionné il pouvait vivre ici heureux indéfiniment. Tout ce qu’il avait à faire, c’était attendre.

Le premier signal de danger à l’intérieur de son domaine privé fut une sorte de sifflement sourd qui couvrait à peine le clapotis du bassin. En même temps, il entendit des couinements aigus au-dessus de sa tête et les alarmes d’intrusion se déclenchèrent. La plupart des capteurs côté surface avaient disparu, détruits ou ensevelis sous les décombres. Ceux-là, qui étaient placés à l’intérieur de plusieurs douzaines de terriers de rapraps, n’étaient pas de vrais capteurs optiques mais plutôt des senseurs activés par une présence. Flatterie fit venir le gardien du Parc tandis que les couinements s’intensifiaient autour d’eux.

— Qu’est-ce que ça signifie ? lui demanda-t-il. Mes écrans indiquent une « activité de niveau A ».

— Les rapraps, expliqua le gardien. Le niveau A est réglé sur eux, car il n’y a pratiquement qu’eux qui s’introduisent dans ces fissures. Cela montre qu’il y en a un nombre anormalement élevé, et à des profondeurs inhabituelles pour eux.

— Ce bruit… on dirait qu’il se rapproche de nous.

— C’est vrai qu’il y en a beaucoup, fit le gardien du Parc en étudiant l’écran de sa télécommande et en se mordant la lèvre inférieure, qu’il avait fort proéminente. Et ils continuent de venir de notre côté.

— Activez vos pièges.

Le gardien appuya sur une pastille rouge de la télécommande. Le sifflement sourd qui s’était tout d’abord transformé en couinements prit l’ampleur d’une vague de piaillements de rage et de terreur. Au même moment, plusieurs formes brunâtres de rapraps débouchèrent d’une fissure située au-dessus de leurs têtes, sur la droite. Leur proximité était devenue inquiétante. Ils n’étaient pas très loin au-dessus de la porte du blockhaus.

— Vous feriez mieux d’aller nettoyer tout ça, dit Flatterie. Je n’ai pas envie qu’ils s’installent dans…

— Il y en a d’autres qui arrivent, fit le gardien en désignant un point, proche de la paroi, où le feuillage était agité de grands mouvements. Je crois que je vais avoir besoin d’aide pour m’en débarrasser.

— Il n’est pas question d’introduire plus de gardes que nécessaire dans le Parc, lui dit Flatterie. C’est vous qui m’avez assuré qu’il n’y avait aucun danger à maintenir ces bêtes dans le voisinage. Débrouillez-vous avec elles. Tout de suite !

— Oui, monsieur, fit l’homme en soupirant et en armant son laser. Mais il me faudra d’autres charges.

Une cavalcade de petites formes brunes et piaillantes attira leur regard du côté du bassin, près du débarcadère où se trouvait l’hydroptère de Flatterie. Plus loin, une étrange lumière blanche, d’une grande intensité, perçait le couvert des fougères. Flatterie remarqua la présence d’une lumière semblable qui semblait se rapprocher depuis l’intérieur de la fissure au-dessus de sa porte.

— Je n’aime pas ça, dit-il. Qu’est-ce que vos fichus capteurs vous indiquent à présent ?

Le gardien fit courir un doigt nerveux à la surface de sa télécommande.

— Je n’ai plus rien, dit-il. Quelque chose a court-circuité l’alimentation de tous les capteurs.

Flatterie entendit le grognement caverneux d’Archange, derrière lui, et se rendit compte pour la première fois qu’il n’avait pas seulement affaire à une poignée de rapraps envahissant son jardin. En l’espace de quelques battements, leur nombre avait atteint des centaines. Quelque chose les avait affolés et ils abandonnaient toute la prudence dont ils étaient coutumiers face aux humains.

— Commencez à tirer sur eux, dit-il d’une voix sourde. Je m’occupe de faire venir du renfort.

Avant qu’il pût déverrouiller la porte et demander de l’aide, la lumière au-dessus du Parc était devenue trop forte pour qu’il distingue autre chose que des mouvements flous sur son chemin. Il courut comme un fou jusqu’au débarcadère et s’enferma dans l’hydroptère.

Il avait déjà mis les réacteurs en marche et commencé à préparer la manœuvre de plongée lorsqu’il s’aperçut qu’il avait oublié de défaire les amarres. Il jeta un coup d’œil au gardien, qui tirait comme un fou sur les ombres dans le feuillage, et le vit disparaître soudain sous une marée de fourrures grouillantes. Puis la marée fondit, ne laissant plus au sol que l’arme, quelques lambeaux de tissu ensanglantés et des os éparpillés. Archange n’avait pas eu plus de chance avec eux et Flatterie avait des doutes sur le sort des cinq hommes de sa force de sécurité qui s’avançaient maintenant en arrosant le terrain de leurs lasers.

— Ils n’ont même pas été assez malins pour refermer la porte après leur passage, grommela-t-il entre ses dents serrées. S’ils ne les arrêtent pas…

Flatterie ne tenait pas à s’attarder sur les conséquences. Il avait suffisamment de preuves autour de lui sur ce que les rapraps étaient capables de faire dans leur fureur aveugle. Ses gardes les avaient fait refluer juste assez pour lui laisser le temps de ressortir de l’hydroptère et de le libérer du quai. La seule voie de salut pour lui, à présent, consistait à plonger et à attendre tranquillement. La lumière qui baignait le Parc était maintenant si forte qu’il lisait à peine les indications de son tableau de bord. Elle encerclait presque entièrement le bassin et il était certain qu’il s’agissait d’une arme d’un genre ou d’un autre utilisée contre lui par les Enfants de l’Ombre.

— Cette bande de paumés en haillons ! grommela-t-il. Pourquoi est-ce qu’ils ne me foutent pas la paix ? Même eux, ils devraient être assez malins pour savoir que je vais bientôt m’en aller de cette foutue planète.

Tout en remplissant les compartiments de plongée, il crut apercevoir des visages en train de se former dans un tournoiement de lumière au-dessus du Parc. Ceux de Crista Galli, de Béatriz Tatoosh, de Nano Macintosh et aussi celui d’un garçon assez jeune, qu’il ne reconnut pas, aux cheveux crépus. Il secoua la tête et s’occupa de sa manœuvre. Tandis que l’hydroptère se stabilisait au fond du bassin, il respira plus librement. L’atmosphère de la cabine était artificielle, bien éloignée de la pureté rafraîchissante du Parc, mais pour Flatterie c’était un vrai paradis en ce moment.

Il avait l’intention d’attendre tranquillement que les choses se tassent à l’abri des eaux protégées de son lagon privé. L’hydroptère contenait des approvisionnements pour six personnes, de quoi lui permettre de survivre des mois entiers. Il pouvait continuer à fabriquer son propre carburant et renouveler son atmosphère tant que les membranes ne tomberaient pas en panne. Elles étaient fabriquées en fibre de varech selon une technique îlienne maintenant centenaire et duraient cinquante ans sans problème.

La lumière au-dessus de lui continuait à s’intensifier et l’eau à s’agiter d’une manière rythmique qu’il trouvait alarmante. Il n’avait pas voulu s’aventurer en haute mer alors que les couloirs du varech ne fonctionnaient plus. Il se voyait mal en train de se frayer un chemin à travers des gisements incontrôlés à l’aide de ses seuls instruments de bord. Cette pensée lui asséchait la bouche et il se força à respirer plus lentement.

Je vais gagner la station de lancement, se dit-il. La navette de nuit devrait être prête à partir d’ici trois heures.

Il inscrivit l’heure dans son journal de bord et pointa le nez de l’hydroptère vers la haute mer. Devant lui s’étendait le vaste gisement côtier avec ses lumières infernales qui semblaient lui faire des clins d’yeux.

Le canon de la plage… il n’a pas détruit ce gisement comme j’en avais donné l’ordre…

Sans qu’il pût savoir pourquoi ni comment, la vue de toutes ces lumières rouges et bleues qui clignotaient au loin dans les profondeurs de la mer l’emplissait d’une angoisse aussi grande que l’étrange lueur qui avait accompagné son départ du Parc. Et Flatterie n’aimait pas ressentir de l’angoisse.

S’ils choisissaient ce moment pour balancer leurs charges ? Ma peau ne vaudrait pas cher.

Le réflexe de l’habitude transforma son angoisse en agressivité et il fonça dans le varech.

Ce fut beaucoup plus facile qu’il ne l’avait prévu. Les eaux au large de Kalaloch étaient paisibles malgré l’absence du Contrôle des Courants. Il n’y avait, en réalité, qu’un étrange courant de marée qui le chassait vers le large depuis son départ du Parc. Le varech sauvage avait laissé ouverts les principaux couloirs qui menaient à la station. Flatterie attribua cela à l’habitude, ou à la persistance du dernier signal reçu du Contrôle des Courants. Il était déjà bien engagé dans le gisement lorsqu’il réalisa son erreur.

Plusieurs choses se produisirent simultanément, qui toutes prises séparément eussent suffi à ébranler sa détermination de se réfugier dans la station de lancement. Il tomba en panne de carburant à moins d’un kilomètre des installations. Ses instruments indiquaient pourtant que toutes les membranes de filtrage fonctionnaient normalement. Avant que les réacteurs s’arrêtent et que l’hydroptère se mette à dériver, il remarqua que la teneur en C02 de l’air de la cabine était anormalement élevée. Les membranes de diffusion fonctionnaient, mais la répartition gazeuse semblait inversée.

Je suis en plein milieu du varech, en panne sèche, et je reçois du C02 dans la cabine au lieu de 02.

Il examina les faits sous l’angle de la logique, en espérant que la logique chasserait l’hystérie qui montait en boule au fond de sa gorge. Il pouvait remplir et vider ses ballasts tant qu’il était alimenté en énergie, mais s’il fallait qu’il puise sur ses batteries elles ne tiendraient pas longtemps.

Personne ne répondait à ses appels sur aucune fréquence sous-marine et son Navcom ne renvoyait aucun signal. C’était comme s’il flottait au centre d’un grand trou noir. Tout ce qui était émis par son hydroptère disparaissait dans le néant.

Ce ne peut être que le varech. Il a déjà bloqué nos communications dans le passé. Les historiques sont pleins d’exemples à ce sujet.

Il regrettait maintenant sa faiblesse avec le varech. Pour se faciliter la vie, il avait laissé cette forme de vie notoirement dangereuse prendre des proportions qu’il était maintenant incapable de contrôler.

Je ne pouvais pas m’occuper de dompter le varech et la populace en même temps, se dit-il en cherchant vainement à réprimer un bâillement.

Le C02 commence à faire son effet sur moi.

Affolé, il se lança dans un regain d’activités fébriles, mais le niveau d’oxygène dans la cabine était déjà trop bas pour lui permettre d’accomplir autre chose que des gestes incoordonnés. Il sentait sa pensée se ralentir et s’aperçut que, même sur ses accus, l’hydroptère était incapable de pousser plus loin à l’intérieur du varech. Vider les ballasts ne lui fut pas non plus d’un grand secours. Cela contribua seulement à épuiser sa réserve d’énergie déjà faible.

Ce maudit varech est en train de me tuer à petit feu !

Il stabilisa l’hydroptère à moins d’une vingtaine de mètres de la surface. Les instruments refusaient de fonctionner et la visibilité diminuait rapidement tandis que la nuit approchait à grands pas. Autour de lui, le varech se tenait à distance et certains tentacules émettaient maintenant une lueur laiteuse qui ressemblait à celle du Parc.

— C’est encore un sabotage de ces satanés Enfants de l’Ombre ! grommela-t-il tout haut d’une voix pâteuse. Je leur ferai payer ça !

Il fut soudain enveloppé d’une sphère de lumière si dense que les détails de l’hydroptère autour de lui devinrent invisibles. Même quand il ferma les yeux, et les couvrit de ses mains, l’éblouissement continua. Des voix piaillaient dans sa tête comme une musique écarlate.

Du panneau au-dessus de son front sortait le signal sonore répété d’un klaxon et la voix automatique disait : « Air de la cabine irrespirable. Revêtez les combinaisons de survie. »

Depuis combien de temps était diffusé l’avertissement ? Il essaya de se souvenir… se souvenir…

La lumière.

C’était une voix de femme ; quelqu’un qu’il connaissait bien. Mais ce n’était pas cette fille, Crista Galli… Le klaxon finit par s’épuiser dans un dernier hoquet et Flatterie secoua la tête.

— J’ai besoin d’oxygène ! haleta-t-il.

Le son de sa propre voix le libéra momentanément de la transe suffocante provoquée par le dioxyde de carbone. Il alla sortir fébrilement son scaphandre de l’armoire de bord. Sans se préoccuper de fixer toutes les attaches, il mit son casque et ouvrit le circuit d’air. Ses mains blêmes étaient agitées d’un tremblement incontrôlable, mais au moins il pouvait respirer.

Je vais leur montrer qui commande ici !

Sa formation de Psyo était profondément enfouie en lui, mais l’adrénaline la fit remonter comme un bouchon de liège. Un vieux dicton îlien fit en même temps surface dans son esprit : « Qui réveille le capucin doit lui servir de pâture. »

Le capucin, c’est moi, et je suis réveillé.

Il se répéta cela plusieurs fois, en se forçant à ralentir le rythme de sa respiration.

— Qu’est-ce que vous me voulez ? hurla-t-il dans la visière de son casque. Si vous me tuez, vous mourrez avec moi ! Tout le monde mourra !

Son haleine avait embué le plaz, mais l’éclat blanc qui l’entourait ne diminua pas. En fait, lorsqu’il concentra son regard sur les gouttelettes de condensation de la visière, il vit des visages à l’intérieur, des centaines de minuscules visages en suspens, parfois deux ou trois dans la même goutte.

Tuer est votre méthode, pas la nôtre.

Cette voix dans sa tête lui glaça le creux de l’estomac. Il ne pouvait pas manquer de reconnaître l’accent familier de Lunabase, celui de la neftile Alyssa Marsh. Elle avait été plus qu’une simple neftile pour lui pendant un temps, mais il y avait toujours eu quelque chose de distant et de glacé dans leur intimité. Ce ne pouvait pas être Alyssa Marsh, de toute manière, parce que… parce que… non, elle n’était pas morte, exactement.

— Que… que se passe-t-il ici ?

Ce bruissement qu’il entendait au plafond et tout autour de la cabine à l’extérieur ne pouvait être produit que par les tentacules du varech. Il les vit ramper sur le plaz sans affaiblir si peu que ce fût l’éclat blanc qui transperçait ses paupières, ses rétines et tout son être. L’hydroptère eut un soubresaut et sa coque métallique hurla tandis que le varech commençait à la déchirer. Flatterie se dépêcha de finir d’agrafer son scaphandre. Il avait déjà préparé deux lasers, mais il préféra s’emparer de deux recharges d’air à leur place.

Vous pouvez vous battre si vous voulez, lui dit la voix d’Alyssa. Mais nous ne vous tuerons pas. Nous ne vous ferons pas le moindre mal.

« Elle a été victime d’un terrible accident au milieu du varech », telle avait été la version officielle de Flatterie pour expliquer sa disparition. Et maintenant, des scènes de sa vie dansaient dans la lumière autour de lui et il connut son grand secret. Malgré le froid glacial qui le figeait déjà, il sentit un nouveau frisson le parcourir.

Alyssa avait pris prétexte d’une mission d’étude de longue durée sous la mer, auprès du varech sauvage, pour s’éclipser durant six mois qu’elle n’aurait aucun mal, se disait-elle, à transformer par la suite en neuf ou dix. Il voulait se débarrasser d’elle, de toute manière, elle l’avait bien senti. Si jamais il apprenait qu’elle était enceinte, il commencerait par détruire l’enfant, elle en était certaine, avant de la détruire probablement à son tour. Aucun des dix mille clones n’avait vécu assez longtemps pour procréer. Flatterie, Alyssa et Mack étaient probablement les derniers survivants de l’équipage original, qui comprenait trois mille six membres, chacun étant le clone d’un donneur depuis longtemps disparu.

Les Brood avaient pris le bébé, nommé Youri. Il n’y avait pas d’autre enfant dans cet avant-poste du varech. Youri avait passé ses deux premières années d’existence sous la mer, en compagnie de quatorze adultes.

Les yeux fermés, Flatterie se réfugiait au plus profond de lui-même.

C’était juste cette fois-là, juste la fois où…

— Vous croyez que je pouvais commander aux réactions de mon corps ? demanda la voix d’Alyssa Marsh.

Les images étaient bloquées par ses paupières, mais il ne pouvait arrêter la voix.

Comment aurais-je pu savoir… vous êtes partie tout de suite… votre travail au milieu du varech…

Les images se forçaient à présent un chemin jusqu’à son esprit conscient. Il se vit en train de « disséquer » personnellement Alyssa, d’effectuer la transplantation vers le support vital de substitution, de séparer pour toujours son cerveau de son corps.

— Vous n’avez qu’à consulter le varech sur ce point, disait la voix de Macintosh au capitaine Brood. Vous aurez la réponse que vous cherchez. Vous pourrez remonter votre lignée génétique aussi loin que vous en aurez la patience.

— Je savais déjà qui est mon père, dit Brood. C’est lui, Raja Flatterie.

Dans un énorme soubresaut, l’hydroptère se déchira à la jointure des tôles et la mer afflua tout autour de Flatterie. Quand les débris s’éloignèrent, la sphère de lumière était toujours là et de nouvelles images dansaient à sa surface. Il vit comment Nervi et Zentz avaient été capturés sur la plage et comment Brood avait attaqué l’Orbiteur. Un kaléidoscope de catastrophes défila devant lui et il vit son précieux Domaine envahi et pillé.

Tout au long de la côte, de gigantesques tentacules de varech surgissaient vers le ciel, éclairant la mer de leur pâle lueur phosphorescente.

Il vous reste beaucoup à apprendre, Raja Flatterie, reprit la voix d’Alyssa. Vous êtes un homme intelligent, vous avez peut-être le génie auquel vous prétendez. Finalement, c’est ce qui vous sauvera.

Quelque chose s’enroula autour de sa cheville droite et il se dégagea en pivotant. Mais il fut de nouveau saisi puis ses bras furent à leur tour immobilisés quand il voulut utiliser un réservoir d’air pour frapper ce qui le maintenait. Il se sentait déjà épuisé, dans un état de rêverie semi consciente qui ôtait une partie de sa valeur à toute résistance.

Comme je vous l’ai déjà dit la nuit où vous m’avez tuée, je ne crois pas que vous compreniez vraiment l’immensité de cet être.

Béatriz vit la mémoire de Flatterie prendre le relais de son esprit conscient et rejouer toute la scène de la séparation d’Alyssa Marsh de son propre corps. Les moniteurs, les écrans holo, les gisements de varech, l’air et les cieux eux-mêmes s’illuminèrent des souvenirs d’Alyssa Marsh et de sa dernière rencontre avec Flatterie.

Vous me devez un corps, lui disait-elle sur le même ton dépourvu d’émotions qui avait orienté le choix de Flatterie, une vie auparavant, quand il avait décidé de l’incorporer la première à son équipage.

Le varech commença à envelopper Flatterie de ses filaments, à l’encapsuler dans un cocon nourricier et protecteur. Il avait fait la même chose avec Crista Galli, de même qu’avec Vata et Duque avant elle. Béatriz sentit les filaments qui s’insinuaient dans les vaisseaux sanguins du Directeur pour régler leur niveau d’oxygène et leur pH. D’autres se chargeraient de le nourrir, de recycler ses déchets et de le protéger des prédateurs. Béatriz sentait cela, comme elle sentait le monde extérieur tout entier, par l’intermédiaire de la peau de gyflotte.

Flatterie occupait le devant de la scène, et le monde entier était spectateur.

Le Facteur ascension
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